Création 2014 pour l’exposition Mauro Corda « Les Insolites », Réfectoire des Cordeliers, Paris.
Chorégraphie et mise en scène : Florence Guérin
Interprètes : Jade Blandin, Jade Domenech de Cellès, Axel Dupont, Étienne Favre, Florence Guérin, Sandra Laurin, Sophie Sigwalt.
Musiciens : Sebastien Fournier (contre-ténor), Michel Deneuve (cristal) et le quatuor Sprezzatura
Scuptures : Mauro Corda
Photographies : Michel Hans
Commissaire d’exposition : Yvan Brohard
Inscrire le mouvement des corps dansants à l’interface de deux univers contrastés, les sculptures de Mauro Corda et la musique baroque chantée par Sébastien Fournier, a été pour moi une expérience exaltante et un vrai défi chorégraphique.
Comment imaginer un dialogue à trois qui intègre pleinement ces trois composantes ?
Comment penser et mettre en œuvre un spectacle avec la double contrainte de la scénographie imposée par les sculptures et d’une relation au public guidée par l’architecture du Réfectoire des Cordeliers ?
Ces contraintes sont devenues force de proposition au cours de l’écriture du spectacle. Lors des séances de répétition en studio et in situ, la danse est apparue au fur et à mesure comme une interface naturelle entre la musique et la sculpture.
Aux deux extrémités de mon approche, d’une part, l’attention portée au travail de Mauro Corda – les matériaux utilisés, leurs propriétés, les images, la perception des intentions du sculpteur –, et d’autre part le choix des œuvres chantées parmi une liste proposée par Sébastien Fournier.
Le travail en studio a progressivement comblé cet espace, qui paraissait infranchissable aux premiers abords.
D’un côté, une recherche sur la mise en corps des qualités retenues dans les œuvres de Mauro Corda (le lourd/ le léger; la tension/ l’abandon; la décomposition; l’empreinte; le vide / le plein; l’amplification/la diminution; l’illusion; le contrôle/l’impuissance). Ce travail a pris des formes variées (solo, duo, trio, groupe …) à partir de phrases que j’ai proposées ou d’improvisations guidées qui ont par la suite été travaillées puis fixées.
De l’autre, la transcription corporelle de la force émotionnelle de certaines oeuvres musicales sous la forme d’une recherche d’états de corps. Par exemple, les phrases dansées en déplacement dans The Plaint (Purcell) ou les gestes brefs et signifiants de Cold Song (Purcell) ont été écrits grâce à la puissance évocatrice du chant. Sur les huit propositions musicales, deux tableaux intégraient des séquences chorégraphiques improvisées à l’intérieur d’espaces ou de trajets définis. Les six autres morceaux étaient corporellement composés.
Restait à trouver un cheminement vers ce dialogue à trois, qui permettrait à chaque art de se révéler, et aux spectateurs de s’approprier chacun des modes d’expression. Avant le spectacle, le public pouvait biensûr prendre connaissance des scupltures en visitant l’exposition imaginée par Yvan Brohard, commissaire d’exposition et scénographe.
Nous avons choisi avec Sébastien Fournier une structure de spectacle qui alterne moments musicaux et moments chorégraphiques et propose les interactions musiciens/danseurs, chanteur/musiciens, chanteur/danseurs. Par ce biais, les différents arts étaient introduits progressivement et leurs interactions s’enrichissaient jusqu’à ce que s’établisse naturellement une circulation de sens, une résonnance entre danse, musique et sculpture.
Différentes modalités de mise en espace des corps – des musiciens, du chanteur et des danseurs – ont par ailleurs été explorées dans l’espace encombré de l’exposition. Au cours du processus de création et des répétition in situ, nous avons sans cesse réajusté la chorégraphie au regard du placement des œuvres, des œuvres elles-mêmes générant de nouvelles idées, et de la musique avec notamment les possibilités d’improvisation qu’offraient le « Cristal », instrument de Michel Deneuve.
Ce processus de création a donné naissance à plusieurs formes de dialogue à trois, chacune ayant un contenu artistique et émotionnel bien spécifique.
Tantôt la musique initiait le dialogue, faisait « vivre » par ses qualités rythmiques et par la voix du chanteur une sculpture désignée comme reflet possible et nous la mettions alors en mouvement. Par exemple, le tempo soutenue de Al lampo dell’ armi de Haendel nous a fait penser au fourmillement, au mouvement incessant et désordonné des nombreuses souris de l’œuvre Souris que nous avons révélée par un déplacement au ras du sol autour du lit. Le mouvement que Mauro Corda avait réalisé à plat, à l’horizontal, dans son œuvre a été transposé à la verticale.
Tantôt la sculpture nous invitait à l’expression, l’expressivité, de ses propriétés (lisse, noir, lourd, imposant, fragile, dur, blanc), de sa signification sociale ou du sens attribué par chaque danseur (la mort, la destruction, le vie, la recherche scientifique, la douleur, le désir, la fatalité, la pulsion, les frontières …). La musique soutenait alors cette tension (du corps tendu vers l’œuvre) comme cela a été le cas au début du spectacle où le cristal a joué seul un morceau grave, sourd, en improvisation.
Tantôt la danse s’insérait dans l’espace d’interaction entre chant et sculpture pour donner une rythmique propre, un sens vital et charnel à la relation ténue entre voix et objet. La danse collective macabre réalisée à la fin du spectacle est venue, dans le processus de création, a posteriori comme pour célébrer cette unité voix épurée du chant-sculpture du Gisant, les corps mouvants/vivants glorifiant ensemble la vie dans la mort ou la mort dans la vie ….
Florence Guérin
Bridging by the movement of dancing bodies two contrasting worlds, the sculptures of Mauro Corda and the baroque music sung by Sébastien Fournier, was an exhilarating experience for me and a real choreographic challenge.
How imagine a trialogue that fully integrates these three components?
How to think and implement a performance with the double bind of scenography imposed by the sculptures and a relationship to the audience guided by the architecture of the refectory of the Cordeliers?
These constraints have become force proposal in writing the show. During rehearsals in the studio and in situ, dance appeared as a natural interface between music and sculpture.
At both ends of my approach, firstly, attention to the work of Mauro Corda – the materials used, their properties, images, perception of the intentions of the sculptor – and secondly the choice of works sung from a list proposed by Sébastien Fournier.
Studio work has gradually filled this space, which seemed insurmountable at first glance.
On the one hand, research on the intentions expressed in the works of Mauro Corda (heavy / light; tension / abandonment; decomposition; imprint; the empty / full, the amplification / reduction; illusion; control / impotence). This work took various forms (solo, duo, trio, group …) from sentences I have proposed or guided improvisations that have been subsequently worked and then fixed.
On the other, I worked on the body transcript of the emotional force of some musical work. For example, danced gestures in The Complained (Purcell) or brief gestures in Cold Song (Purcell) were written with the evocative power of the song. Of the eight musical proposals, two paintings incorporated improvised choreographic sequences, within defined spaces or rides.
It remained to find a path to dialogue to three, allowing each art to express it-self, and spectators to capture each of expression. Before the show, the audience could of course be aware of scupltures visiting the exhibition imagined by Yvan Brohard, curator and designer.
We chose with Sébastien Fournier a structure for the show that alternates musical moments and choreographic moments, proposing several types of interactions musicians / dancers, singer / musician, singer / dancers. Through this, the various arts were introduced gradually and their interactions grew rich until naturally establish a sense of movement, a resonance between dance, music and sculpture.
Different staging modalities of bodies – musicians, singer and dancers – were also explored in the crowded space of the exhibition. During the creation process and repetition in situ, we have constantly adjusted the choreography under the investment works, the works themselves generate new ideas, and music including the possibilities of improvisation offered by Michel Deneuve’s instrument, the « Cristal ».
This process of creation has spawned many forms of dialogue to three, each with an artistic and emotional specific content.
Florence Guérin